Variations sur tanks -2010-
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Sports et divertissements 2
Sports et divertissements
"Chauffeur, suivez cette… sculpture"
SLM : Mon dieu pourquoi tous ces gadgets ?
Denis Prunier : Alors que Dame Nature est si parfaite ?
Aphorisme nocturne.
De l'avis de ses proches, Denis Prunier n'est pas du genre à jouer au meccano les dimanches de pluie.
D'ailleurs pour éviter les week-ends mouillés, il s'est carapaté fissa
de sa Normandie natale pour hanter la belle de Mai, haut lieu de la
bricole et du recyclage
en tout genre. Ça s'organise par cycles, par couches successives et la
mécanique associée à l'organe, ça tient en l'air comme par miracle. Pas
tant que je veuille insinuer que le milieu a imprimé
son empreinte, non, mais il y aurait comme qui dirait
des prédispositions, un certain négligé ou en terme médical de sérieux
antécédents que ça ne m'étonnerait pas.
Pour un visiteur pressé, les sculptures des années 90 étaient
clairement identifiables. La poétique hésitait entre Fluxus et le Club
Mickey, toutes concentrées qu'elles étaient sur la notion de jeu,
d'échange et de gentille rigolade. la vie de château était
composée de bois de cagettes, aérienne, élégante. l'artiste se livrait
à une graphie spatiale un rien précieuse.
On pourrait même dire qu'il y avait intentionnellement ou pas une
volonté de parti pris, un désir de plaire, de ne pas renverser d'emblée
le carafon sur la nappe des ancêtres. On
faisait dans le courtois, un rien grunge.
Depuis lors, le cas s'est aggravé. Refaire le coup du désenchantement
au vu que ce qui nous attend, serait légèrement déplacé (minimalisme
techno + scientisme new age), du
Bossuet sur les ruines du 11 septembre. Déplacé. Hors sujet. Néanmoins,
l'heure n'est plus à la rigolade et un jour vraiment, il faudra choisir
entre les brèves de banquet et l'humour
radical qui scie la vérité en deux. Dans le cas de Prunier, l'humour
salvateur a davantage ses origines dans l'univers cinématographique :
le plan dans Viridiana où l'amant éconduit se
pend avec la corde à sauter de la gamine apparue dans la scène
précédente, la violence délirante des 2 000 maniacs, Fellini et son
rhinocéros, la scène finale de Folies de Femmes où le corps de Von
Stroheim est balancé aux égouts. C’est-à-dire des constructions
visuelles perverses, des projections visuelles où l'œil se retourne.
Raccourci. Au plus vite. Au plus juste.
Tellement vite que ces projections prennent place là où le réel se
tenait et s'y installent avec l'insistance d'un gosse effronté. C'est
plus fort que nous, une fois signalées on ne peut plus s'en défaire.
Elles ont levé le voile.
En terme de vitesse, il
faut loucher du côté des Young British Artists pour saisir la mesure.
les Français possèdent de façon moindre cette culture du Night Clubbing
dont Sarah Lucas et Tracey Emin sont les parfaits exemples. À la suite
de la scène anglaise des années 80, cette nouvelle génération n'a
jamais vraiment renoncé au geste sculptural. Ils ont simplement opté
pour une sculpture plus visuelle, moins plastique, au devenir-image
choc et provocateur. Ces sculptures sont les pirouettes ultimes de leur
univers speed ; un univers en accélération
au risque du crash visuel permanent. Cette misère flamboyante, Prunier
l'exprime à sa manière. Ses travaux s'organisent de façon étrange, une
passerelle fragile entre sculpture et image, un moyen terme désolé de
n'être que ça. En bon élève de Dietman*, les sculptures se feront tôt
le matin pour être défaites tard le soir, entrecoupées de roulage de
clopes, d'allers-retours multiples et nerveux, Atelier/Appart,
Appart/Atelier, Atelier/M. bricolage, Appart/Ed. Ouf ! Prunier, c'est
bip bip coyote. De la répétition comme forme de changement **.
Même chose pour les
sculptures, pourquoi perdre son temps en sophistications incongrues ?
Ruons. Le puzzle a construire sera fixé à l'arrache avec un pistolet à
colle. On brûlera des éponges en guise de toasts matinaux et amoureux.
On se le jouera social en customisant une casquette-quartier-nord en
trois feux Mondrian (la culture pour tous), un walkman sera sacrifié
(hommage à Pierre Boulquiès). Discrètement, ces sculptures nunuches
désamorcent l'esthétique Maison et Tricot, objet du monde publicitaire
et des artistes pop. Un monde où les artistes rêvent de vivre entourés
de leurs sculptures alors que tout l'enjeu consiste à s'en débarrasser
une-bonne-fois-pour-toutes. Hors vue. Hors-champ. Surtout ne pas rêver.
La vitesse d'exécution de ces sculptures vise peut-être l'éviction de
leur objet même. Seul le titre restera, le sourire du chat du Cheshire,
le titre-jeu de mots comme dernière sculpture.
Duchamp déclarait : "J'ai la vie d'un garçon de café", chose à quoi Prunier pourrait ajouter : "J'en ai l'humour". Le mauvais jeu de mots
encombre sacrément le White Cube ripoliné.
Aussi gênant qu'un dessin à la matière fécale de Jacques Lizène ou que l'h omme qui tousse de Christian Boltanski. Même chose pour les collages (ces sculptures en deux dimensions).
Ciseau. Colle. La réalité des corps sera d'autant plus effrayante qu'on l'envisagera
point par point, détail après détail, membre après membre. Inventaire
macabre a contrario de la scène première du Mépris de Godart où BB
énumère ses parties charnues à l'usage de son amant. "Tu aimes ma sculpture ?". La pièce intitulée Les têtes et les
jambes
et qui sera un des moments forts de l'exposition à la Grande Galerie
des Bains-Douches abonde dans ce sens. Imaginez les pièces d'un Bowling
en céramique composé de jambes roses kitsch et de têtes sanguinolentes.
Glissez les doigts entre les deux orifices énucléés,
la bouche ouverte. Visez.
On peut rire de ça, on peut en vivre. On peut vivre de tout. Les bras m'en tombent. "Dans la tragédie, il n'y a pas de problèmes" ***
Texte de Stéphane Lemercier.
* A ce sujet relire l'entretient entre Erik Dietman et Bernard
Lamarche-Vadel dans le catalogue de l'exposition Qu'est-ce-que l'art
français ?
** L'artiste est d'ailleurs féru de musiques répétitives et électro
*** Frédéric Nietzsche, du vénilia sur contreplaqué ...
Catalogue arthotèque de Caen
Tohu-Bohu à SMP
On pourrait sortir de l’exposition sans songer à l’humour noir. Et pourtant !
Les éléments que Denis Prunier assemble dans ses pièces fonctionnent un
peu comme des pictogrammes et le sens que leur donne leur usage commun
s’articule ici avec le sens issu de ses assemblages; jouant également
avec le titre, comme le suppose l’aspect illustratif des œuvres.
Dans la salle du fond, le “quatuor à corde” est emblématique de ces
déviances; 4 volumes noirs, modelés aux gabarits respectifs et
caractéristiques des 2 violons, de l’alto et du violoncelle, et
désignant ainsi leurs étuis, pendants au plafond par des cordes. Le
nœud qui les retient suggère (la réalisation n’en aidant pas la
lecture) que ce n’est pas le jeu esthétique consistant à présenter des
sculptures au plafond au lieu du sol qui était en jeu. Mais bien le jeu
de mot sur la corde qui fait que les sculptures sont, ou se sont,
pendues au plafond. Le rendu à la Niki de Saint Phalle des silhouettes
noires accentue leur air de personnages : les 2 enfants, la maman et le
papa. M.Roche, qui a écrit (entre autres) de nombreuses pages sur le
violon, relève lui aussi l’air de silhouette :
Tu es là dans ta boite cercueil étui grand écrin. *
Dans la grande salle, ce ton est confirmé, quoi que sous un jour plus
narratif, par une installation faite d’une foule de landaus de guerre
disposés à une bataille rangée qui, contrairement au “quatuor”, n’a pas
atteint le, terme de son histoire. Grandeur nature, chacun de la
quinzaine de véhicules, a été peint avec un motif de type camouflage
mais dans une gamme de coloris voyants empruntée à un logiciel de 3D,
ceci étant encore accentué par l’application uniforme de cette peinture
à tout le “corps” du landau qui se trouve alors comme enrobé dans ce
motif. Que la mode ait déjà fait son beurre de ce motif, cela ajoute un
grade cynique. En sus de cet habillage d’inspiration militaire, chaque
landau est doté et orné d’un trio de cylindres métallisés qui figurent
des mitraillettes. Pas de délire cinéticotribal ou autre discours sur
l’art ; c’est dans le registre de la satyre que se place l’exposition,
ici le message est clair : dès la crèche, l’enfant est condamné à se
battre.
Dans “l’échiquier” on retrouve un message similaire, mais dont la
synthèse esthétique correspond à la réalité de la pièce et fait ainsi
l’économie du recours à la narration... En forme de cible à damier où
les différentes pièces du jeu d’échec, agrémentées de dards, sont
plantées, cet hybride de jeux signifie : les dés sont jetés et c’est
pour la vie...
En mettant de côté la philosophie et la psychanalyse, observons que les
pièces décrites forment 3 types : l’hybride ou collage d’éléments de
même fonction ou nature, l’assemblage d’éléments aux fonctions
antinomiques (on connaissait les cercueils à roulettes), l’assemblage
d’éléments sans parenté autre que verbale (corde)...
Face à la cible d’échecs on voit une pièce semblable : 2 raquettes de
badminton tordues, attachées par un faible mousqueton et dont une est,
comme malade, ployant sous le poids imaginaire de l’autre qu’elle
retient au mur. Le dispositif est aussi simple que le message : des 2
éléments identiques et complémentaires dans leur fonction d’accessoires
du même jeu, on remarque la contrainte de complémentarité. Une raquette
de badminton seule est comme un bois flotté ; navire à la dérive. Une
pièce de Rosemarie Tröckel présentée à l’entrée d’un exposition
intitulée TRUST fait écho à celle de Prunier. C’est un pull-over à 2
cols, pour des siamois par exemple... Mais la force des raquettes
vient, non sans morale, de leur précarité, celle du mousqueton, qui
n’est même pas cadenassé, la maigreur du manche qui courbe l’échine, le
cordage palichon etc.
Cet aspect ancre le travail dans la subjectivité de l’artiste : on lit
aisément cette contrainte géméllaire, telle qu’elle est représentée
ici, comme un commentaire du départ d’Olivier Turpin qui ploie, mais ne
peut rompre avec Franck, son frère jumeau, et quitte donc Tohu-Bohu et
son collaborateur, qui n’est autre que Denis Prunier, pour Paris. Ceci
pour amener un épisode qui ne peut être que le dernier de cette épopée
mélancolique : la pendaison sur céramique. Le dessin du pendu repris du
jeu (encore) du même nom y est utilisé comme motif pour un carrelage.
Les sections de potence que l’on assemble au fil du dessin
correspondent ici à des sections du motif restitué par l’agencement des
carreaux. La gratuité du jeu, rendue par répétition du motif (il y a 2
pendus), révèle un contraste caustique entre le dessin morbide et sa
réalisation enfantine de peinture sur céramique qui jouent avec cette
adéquation graphique, de sorte à ce que cette pièce synthétise les 4
autres.
Une fatalité sourd des imbrications trop adéquates :
Est ce la douleur qui s’en va, ou moi qui m’y habitue ? *
* extraits de Maurice Roche ds Maladie Mélodie, ed. Seuil.
Mathieu Provansal