Tohu-Bohu à SMP
On pourrait sortir de l’exposition sans songer à l’humour noir. Et pourtant !
Les éléments que Denis Prunier assemble dans ses pièces fonctionnent un
peu comme des pictogrammes et le sens que leur donne leur usage commun
s’articule ici avec le sens issu de ses assemblages; jouant également
avec le titre, comme le suppose l’aspect illustratif des œuvres.
Dans la salle du fond, le “quatuor à corde” est emblématique de ces
déviances; 4 volumes noirs, modelés aux gabarits respectifs et
caractéristiques des 2 violons, de l’alto et du violoncelle, et
désignant ainsi leurs étuis, pendants au plafond par des cordes. Le
nœud qui les retient suggère (la réalisation n’en aidant pas la
lecture) que ce n’est pas le jeu esthétique consistant à présenter des
sculptures au plafond au lieu du sol qui était en jeu. Mais bien le jeu
de mot sur la corde qui fait que les sculptures sont, ou se sont,
pendues au plafond. Le rendu à la Niki de Saint Phalle des silhouettes
noires accentue leur air de personnages : les 2 enfants, la maman et le
papa. M.Roche, qui a écrit (entre autres) de nombreuses pages sur le
violon, relève lui aussi l’air de silhouette :
Tu es là dans ta boite cercueil étui grand écrin. *
Dans la grande salle, ce ton est confirmé, quoi que sous un jour plus
narratif, par une installation faite d’une foule de landaus de guerre
disposés à une bataille rangée qui, contrairement au “quatuor”, n’a pas
atteint le, terme de son histoire. Grandeur nature, chacun de la
quinzaine de véhicules, a été peint avec un motif de type camouflage
mais dans une gamme de coloris voyants empruntée à un logiciel de 3D,
ceci étant encore accentué par l’application uniforme de cette peinture
à tout le “corps” du landau qui se trouve alors comme enrobé dans ce
motif. Que la mode ait déjà fait son beurre de ce motif, cela ajoute un
grade cynique. En sus de cet habillage d’inspiration militaire, chaque
landau est doté et orné d’un trio de cylindres métallisés qui figurent
des mitraillettes. Pas de délire cinéticotribal ou autre discours sur
l’art ; c’est dans le registre de la satyre que se place l’exposition,
ici le message est clair : dès la crèche, l’enfant est condamné à se
battre.
Dans “l’échiquier” on retrouve un message similaire, mais dont la
synthèse esthétique correspond à la réalité de la pièce et fait ainsi
l’économie du recours à la narration... En forme de cible à damier où
les différentes pièces du jeu d’échec, agrémentées de dards, sont
plantées, cet hybride de jeux signifie : les dés sont jetés et c’est
pour la vie...
En mettant de côté la philosophie et la psychanalyse, observons que les
pièces décrites forment 3 types : l’hybride ou collage d’éléments de
même fonction ou nature, l’assemblage d’éléments aux fonctions
antinomiques (on connaissait les cercueils à roulettes), l’assemblage
d’éléments sans parenté autre que verbale (corde)...
Face à la cible d’échecs on voit une pièce semblable : 2 raquettes de
badminton tordues, attachées par un faible mousqueton et dont une est,
comme malade, ployant sous le poids imaginaire de l’autre qu’elle
retient au mur. Le dispositif est aussi simple que le message : des 2
éléments identiques et complémentaires dans leur fonction d’accessoires
du même jeu, on remarque la contrainte de complémentarité. Une raquette
de badminton seule est comme un bois flotté ; navire à la dérive. Une
pièce de Rosemarie Tröckel présentée à l’entrée d’un exposition
intitulée TRUST fait écho à celle de Prunier. C’est un pull-over à 2
cols, pour des siamois par exemple... Mais la force des raquettes
vient, non sans morale, de leur précarité, celle du mousqueton, qui
n’est même pas cadenassé, la maigreur du manche qui courbe l’échine, le
cordage palichon etc.
Cet aspect ancre le travail dans la subjectivité de l’artiste : on lit
aisément cette contrainte géméllaire, telle qu’elle est représentée
ici, comme un commentaire du départ d’Olivier Turpin qui ploie, mais ne
peut rompre avec Franck, son frère jumeau, et quitte donc Tohu-Bohu et
son collaborateur, qui n’est autre que Denis Prunier, pour Paris. Ceci
pour amener un épisode qui ne peut être que le dernier de cette épopée
mélancolique : la pendaison sur céramique. Le dessin du pendu repris du
jeu (encore) du même nom y est utilisé comme motif pour un carrelage.
Les sections de potence que l’on assemble au fil du dessin
correspondent ici à des sections du motif restitué par l’agencement des
carreaux. La gratuité du jeu, rendue par répétition du motif (il y a 2
pendus), révèle un contraste caustique entre le dessin morbide et sa
réalisation enfantine de peinture sur céramique qui jouent avec cette
adéquation graphique, de sorte à ce que cette pièce synthétise les 4
autres.
Une fatalité sourd des imbrications trop adéquates :
Est ce la douleur qui s’en va, ou moi qui m’y habitue ? *
* extraits de Maurice Roche ds Maladie Mélodie, ed. Seuil.
Mathieu Provansal