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La galerie de Denis Prunier
18 mars 2009

Tohu-Bohu à SMP

On pourrait sortir de l’exposition sans songer à l’humour noir. Et pourtant !
Les éléments que Denis Prunier assemble dans ses pièces fonctionnent un peu comme des pictogrammes et le sens que leur donne leur usage commun s’articule ici avec le sens issu de ses assemblages; jouant également avec le titre, comme le suppose l’aspect illustratif des œuvres.
Dans la salle du fond, le “quatuor à corde” est emblématique de ces déviances; 4 volumes noirs, modelés aux gabarits respectifs et caractéristiques des 2 violons, de l’alto et du violoncelle, et désignant ainsi leurs étuis, pendants au plafond par des cordes. Le nœud qui les retient suggère (la réalisation n’en aidant pas la lecture) que ce n’est pas le jeu esthétique consistant à présenter des sculptures au plafond au lieu du sol qui était en jeu. Mais bien le jeu de mot sur la corde qui fait que les sculptures sont, ou se sont, pendues au plafond. Le rendu à la Niki de Saint Phalle des silhouettes noires accentue leur air de personnages : les 2 enfants, la maman et le papa. M.Roche, qui a écrit (entre autres) de nombreuses pages sur le violon, relève lui aussi l’air de silhouette :
Tu es là dans ta boite cercueil étui grand écrin. *



Dans la grande salle, ce ton est confirmé, quoi que sous un jour plus narratif, par une installation faite d’une foule de landaus de guerre disposés à une bataille rangée qui, contrairement au “quatuor”, n’a pas atteint le, terme de son histoire. Grandeur nature, chacun de la quinzaine de véhicules, a été peint avec un motif de type camouflage mais dans une gamme de coloris voyants empruntée à un logiciel de 3D, ceci étant encore accentué par l’application uniforme de cette peinture à tout le “corps” du landau qui se trouve alors comme enrobé dans ce motif. Que la mode ait déjà fait son beurre de ce motif, cela ajoute un grade cynique. En sus de cet habillage d’inspiration militaire, chaque landau est doté et orné d’un trio de cylindres métallisés qui figurent des mitraillettes. Pas de délire cinéticotribal ou autre discours sur l’art ; c’est dans le registre de la satyre que se place l’exposition, ici le message est clair : dès la crèche, l’enfant est condamné à se battre.



Dans “l’échiquier” on retrouve un message similaire, mais dont la synthèse esthétique correspond à la réalité de la pièce et fait ainsi l’économie du recours à la narration... En forme de cible à damier où les différentes pièces du jeu d’échec, agrémentées de dards, sont plantées, cet hybride de jeux signifie : les dés sont jetés et c’est pour la vie...
En mettant de côté la philosophie et la psychanalyse, observons que les pièces décrites forment 3 types : l’hybride ou collage d’éléments de même fonction ou nature, l’assemblage d’éléments aux fonctions antinomiques (on connaissait les cercueils à roulettes), l’assemblage d’éléments sans parenté autre que verbale (corde)...



Face à la cible d’échecs on voit une pièce semblable : 2 raquettes de badminton tordues, attachées par un faible mousqueton et dont une est, comme malade, ployant sous le poids imaginaire de l’autre qu’elle retient au mur. Le dispositif est aussi simple que le message : des 2 éléments identiques et complémentaires dans leur fonction d’accessoires du même jeu, on remarque la contrainte de complémentarité. Une raquette de badminton seule est comme un bois flotté ; navire à la dérive. Une pièce de Rosemarie Tröckel présentée à l’entrée d’un exposition intitulée TRUST fait écho à celle de Prunier. C’est un pull-over à 2 cols, pour des siamois par exemple... Mais la force des raquettes vient, non sans morale, de leur précarité, celle du mousqueton, qui n’est même pas cadenassé, la maigreur du manche qui courbe l’échine, le cordage palichon etc.
Cet aspect ancre le travail dans la subjectivité de l’artiste : on lit aisément cette contrainte géméllaire, telle qu’elle est représentée ici, comme un commentaire du départ d’Olivier Turpin qui ploie, mais ne peut rompre avec Franck, son frère jumeau, et quitte donc Tohu-Bohu et son collaborateur, qui n’est autre que Denis Prunier, pour Paris. Ceci pour amener un épisode qui ne peut être que le dernier de cette épopée mélancolique : la pendaison sur céramique. Le dessin du pendu repris du jeu (encore) du même nom y est utilisé comme motif pour un carrelage. Les sections de potence que l’on assemble au fil du dessin correspondent ici à des sections du motif restitué par l’agencement des carreaux. La gratuité du jeu, rendue par répétition du motif (il y a 2 pendus), révèle un contraste caustique entre le dessin morbide et sa réalisation enfantine de peinture sur céramique qui jouent avec cette adéquation graphique, de sorte à ce que cette pièce synthétise les 4 autres.



Une fatalité sourd des imbrications trop adéquates :
Est ce la douleur qui s’en va, ou moi qui m’y habitue ? *

* extraits de Maurice Roche ds Maladie Mélodie, ed. Seuil.

Mathieu Provansal

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